Entre mes jambes

Difficulté

C’est dur d’écrire, de dénouer ce secret. La difficulté réside au delà de la peur de ne pas être crue ou écoutée. Dire ce que l’on a mis tant d’obstination à ignorer est un exercice laborieux. Je veux parler et me guérir, mais je ne veux pas me faire violence. Pour une fois je ne veux pas me faire violence.

Je réalise peu à peu qu’une partie de ma vie m’a été volée. Ce que je ne pouvais voir en face m’a pourtant impacté de façon irréparable. J’ai l’impression de me réveiller d’un coma et de prendre la mesure de la gravité de l’accident qui m’y a conduite, jour après jour. J’ai avancé dans la vie comme ces blessés qui arrivent à marcher sans réaliser qu’ils ont une jambe cassée, shootés par l’adrénaline et sous le choc. Tout ce que j’ai vécu jusqu’ici ne l’a pas été librement mais avec une posture antalgique qui m’interdisait de tourner la tête vers cet aspect de mon passé. Je n’ai jamais pu être légère et insouciante, même lorsque j’étais une fillette. C’était le risque bien trop grand de prendre conscience de l’étrangeté dans laquelle j’évoluais, de cette mère sans cesse sur le fil, en souffrance, en demande. De ce père pris au dépourvu, lâche, qui a fini par m’en vouloir, par me reprocher l’échec de sa vie familiale.