Entre mes jambes

Destinée familiale

Je ne sais pas quand l’inceste a commencé. Sans doute lorsque j’étais bien trop jeune pour me souvenir de quoi que ce soit. Pour moi tout a démarré le jour de ce premier souvenir, durant ma toilette. En quelques instants j’ai eu 100 ans, je n’étais plus une enfant et toute insouciance me serait à jamais inaccessible. Cet instant là a déterminé la trajectoire de toute ma vie. Après, je n’ai plus voulu y penser. ça s’est reproduit. La solution que j’ai trouvé pour vivre malgré tout, c’était de ne pas y penser. Je raconterai ce qui s’est passé ce jour là, mais pas aujourd’hui, plus tard.

Ma mère insistait pour me faire la toilette d’une façon bien particulière, comme à un bébé ou un très jeune enfant, en plein milieu du salon, avec les jambes en l’air, mon sexe d’enfant exhibé… ça a duré des années, je n’étais pas en âge de comprendre mais j’étais en âge de ressentir que quelque chose clochait. Je me sentais sale, humiliée, honteuse, si vulnérable face à la merci de cette femme toute puissante.

Mon père protestait, il lui enjoignait de me faire la toilette dans la salle de bain, de me donner une douche ou un bain… Comme toutes les autres mères faisaient. Une immense dispute a eu lieu. Mon père m’a mis de force dans la douche, j’ai pleuré, ma mère a rétorqué "tu vois, c’est elle qui veut comme ça". Elle a continué à faire "comme ça".

Ma mère dormait avec moi, dans mon lit, presque toutes les nuits durant de très longues années. Ces souvenirs là ont bien plus de mal à me revenir en mémoire. Je me sentais prise au piège. J’avais beaucoup de mal à dormir et l’angoisse qui m’assaillait dès la tombée du jour était nauséabonde.
Là aussi, mon père protestait. Il voulait que sa femme dorme avec lui. Là encore, immense dispute… Mes parents se disputaient très souvent. De plus en plus souvent.

Je devais avoir 5 ou 6 ans et nous étions chez mes grand-parents maternels. Mes parents et moi enfermés dans la chambre que nous occupions durant notre séjour. Mes parents s’engueulaient. Ils auraient pu me laisser aux soins de mes grands parents, le temps de leur dispute, mais ma mère était comme ça. Elle refusait de me laisser aux soins d’autres personnes. Je remercie l’état français d’avoir rendu la scolarité obligatoire. Ce jour là ils s’engueulaient avec plus d’intensité et plus de gravité que d’habitude. Du haut de mes 5 ou 6 ans je pouvais sentir que c’était sérieux. Mon père avait l’air déterminé, il s’était mis d’accord avec ses parents, il était question de "décisions", de "changements", certaines choses "n’étaient plus possibles". J’étais une simple fillette, mais j’aimais ce qu’il disait, je sentais que c’était une bonne chose, même si tout cela m’impressionnait. Je revoie encore ma mère assise sur le lit, l’air dépité, hagard. C’était la première fois qu’elle ne me semblait pas surpuissante. Il y eu un silence. J’ai cru qu’elle était triste. Puis, d’une voix hargneuse elle a lâché ce couperet : "de toute façon si tu me quittes je dis que tu me frappes et tu ne reverras plus jamais ta fille". Mon père n’était pas violent. Mais il a eu peur. C’était le début des années 90 et il était rarissime que des père obtiennent la garde de leur enfant. Il n’y eu aucun changement. Dans cette chambre au papier peint suranné, elle a scellé le destin de notre famille : nous ferions tous semblants et comme si rien ne s’était passé. Nous construirions l’édifice d’une famille heureuse sur des mensonges et des apparences. Quoi qu’il en coûte, que nous le voulions ou non.